Chroniques

par laurent bergnach

Giacomo Puccini
Tosca

1 DVD Arthaus Musik (2012)
101 594
Giacomo Puccini | Tosca

Plus de cent ans après sa création (le 14 janvier 1900, au Teatro Costanzi de Rome), on s’étonne que Tosca ait provoqué des jugements aussi hostiles et tranchés, jusqu’après le mitan du siècle. « Le texte est répugnant, sanglant, dans le fond comme dans la forme » s’insurge l’historien d’art Oskar Bie (Die Oper, 1913), tandis que Julius Korngold et Ferdinand Pohl dénoncent respectivement une « musique de chambre de torture », des « grossièretés sans nom ».

Certes, en s’intéressant à la pièce à succès de Victorien Sardou écrite en 1887, où se mêlent amour, jalousie, religion et sadisme, Puccini a souhaité secouer le public – « L’atmosphère de Tosca, écrit-il à son librettiste Luigi Illica, n’est ni romantique, ni lyrique, elle est passionnée, tourmentée et sombre […] Jusqu’à présent, nous avons fait preuve de douceur, mais maintenant nous allons être cruels ». Cependant, à lire la biographie signée Marcel Marnat (Fayard, 2005), « la noirceur de ce Grand-Guignol provoquant exigeait qu’on prît quelque distance avec la trame » et c’est en toute conscience que le créateur d’Edgar [lire notre critique du DVD] souhaite tempérer la violence de l’action et multiplier les arie pour que le spectateur puisse souffler. « Tu veux des vers lyriques ? répond Illica, bougon. Nous savons tous que les vers lyriques n’ont rien de commun avec la psychologie ni avec la dramaturgie. Tu auras donc tes vers lyriques. Pour te satisfaire. »

Filmée en juin 2010, cette production du Teatro Carlo Felice (Gênes) permet de goûter le traditionalisme éclairé du metteur en scène Renzo Giacchieri, en collaboration avec Aldolf Hohenstein qui s’inspire des décors créés pour la première mondiale. Loin du bric-à-brac habituel, l’Église Sant’Andrea della Valle s’emplit de pénombre, de poussière et de vide ; ce dernier préfigure l’espace céleste qui domine la terrasse du Château Sant'Angelo. Le salon de Scarpia ne manque pas non plus de profondeur, limitant les recoins où l’on pourrait éventuellement se dérober à son occupant. La captation d’Ettore Rondolli en rend compte efficacement, mais il faut regretter ses gros plans sur d’épais maquillages surannés.

Notre plaisir serait incomplet sans le trio vocal réunit.
Faisant évoluer le rôle-titre par de petites nuances du visage, Daniela Dessi s’avère touchante, en plus de livrer un chant qui s’élève avec force et évidence – on lui pardonnera d’être souvent en avance sur le chef, peut-être par nervosité, puisque son Vissi d’arte, bissé par le public, s’avère plus nuancé, plus naturel la seconde fois. Fabio Armiliato, son compagnon à la ville retrouvé plus d’une fois dans Puccini – Madama Butterfly [lire notre critique du DVD] ou encore La fanciulla del West [lire notre critique du DVD] –, offre à Cavaradossi un portamento maigre qui évite tout débordement. Présent déjà au générique puis bissé à son tour, E lucevan’ le stelle est nuancé à l’extrême, ne serait-ce que par une palette variée (fausset, mixte, rauque). Claudio Sgura (Scarpia) séduit par une voix large et ses respirations sporadiques que viennent malheureusement contrebalancer un jeu appuyé, une manie de faire un sort à tout. Le reste de la distribution ne démérite pas : Nikolaï Bikov (Angelotti), Paolo Maria Orecchia (en sobre sacristain) et en particulier le petit berger de Luca Arrigo, au chant vraiment populaire, dénué d’affectation.

Grâce à Marco Boemi, conduisant en fosse l’orchestre maison avec élégance et délicatesse, c’est toute la richesse de la partition qui saisit l’auditeur – ces petites choses d’ordinaire oubliées… Il faut dire que les traits solistiques soignés (les bois, notamment) permettent de parvenir à cette qualité d’ensemble.

LB